Galerie Peter Herrmann
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Courte présentation de l'exposition

Yaëlle Biro

La galerie Peter Herrmann, en dehors de son travail permanent avec des artistes contemporains d’origine africaine, présente aussi tout au long de l’année une collection d’art traditionnel africain. Une fois par an, la galerie organise une exposition sur ce thème  (Bronzes d’Afrique en 2000 à Stuttgart, et en 2001 à Berlin ; Un choix dans la collection Peter Herrmann en 2002 ; Objets perlés d’Afrique du Sud en 2003). Cette année, est montrée du 5 septembre au 8 octobre 2004, l’exposition „NOMGUIH’E pe’e MALOMGUEGUIH’E, le léopard et l’araignée dans la mythologie du Grassland – Cameroun“. Des objets de la collection Klaus Paysan et Peter Herrmann seront exposés.

Klaus Paysan est né en 1930 à Stuttgart. Parallèlement à sa formation de chimiste, il se passionne pour la photographie. A partir des années 60, il entreprend de nombreux voyages à travers l’Afrique, plus de 100 à l’heure actuelle. Il a ramené de ses voyages une quantité impressionnante de photographies. Il créé une banque d’image dans laquelle il réunit 250.000 photographies, dont 200.000 photographies d’animaux. De ses voyages, il a rapporté par la même occasion une importante collection d’objets traditionnels.

Cette année, il a organisé au Naturkundemuseum de Stuttgart une exposition à succès consacrée à la représentation des animaux en Afrique, montrant de nombreuses sculptures tradionnelles africaines ainsi que des photographies. Plus de 80.000 visiteurs se sont pressés aux portes du musée... L’exposition que nous présentons aujourd’hui en est une prolongation et nous sommes heureux de montrer au public berlinois une sélection de cette riche collection. A partir de la fin du mois de septembre, le zoo de Berlin présentera une autre partie de la collection. On pourra y voir des masques de singes et d’antilopes.

L’historienne de l’art Yaëlle Biro, d’origine française, a achevé à Paris  - La Sorbonne la première partie de ses études, se spécialisant dans  les arts de l'Afrique. Elle commence cette année son doctorat, toujours dans ce domaine. Au cours de ses études, elle a eu l’occasion de s’intéresser plus particulièrement à l’art du Grassland camerounais et a rédigé un travail sur la représentation du léopard. L’exposition que nous présentons aujourd’hui est en quelque sorte l’aboutissement visuel de ce travail.

 

NOMGUIH’E pe’e MALOMGUEGUIH'E

LE LÉOPARD ET L’ARAIGNÉE DANS LA MYTHOLOGIE ET L’ART DU GRASSLAND CAMEROUNAIS

par Yaëlle Biro

L’art du Grassland Camerounais est particulièrement riche en représentations plastiques, qu’elles soient humaines ou animales.

Les animaux remplissent un rôle symbolique auquel il est essentiel de s’intéresser afin de comprendre le système cultuel, politique et social de cette région. Dans cette mythologie animalière, le léopard et l’araignée (ou plus précisement la mygale) ont une place particulière, et présentent à nos yeux un grand intérêt : en effet, le léopard présente les mêmes caractéristiques de force, d’agilité... pour les Occidentaux et pour les Africains. L’araignée quand à elle, objets de dégoût pour la plupart des Occidentaux, est, comme nous allons le voir, un symbole de sagesse et de spiritualité.

Dans cette exposition nous avons voulu faire un choix d’objets variés, par leur fonction usuelle et le type de materiau. Notre but est de mettre en avant leur signification, leur place dans le système politique et social particulier du Grassland.

-Grassland , cadre géographique et social

Le Grassland, région du Cameroun entre l’Afrique Occidentale et l’Afrique Centrale, est constitué de hauts-plateaux volcaniques et compte plus de 3 millions et demi d’habitants. Il est morcelé en quelques centaines d’unités territoriales et politiques de nature monarchiques, indépendantes, de tailles variables tant en population qu’en superficie.

Sa tradition artistique est très ancienne et très riche et est parallèlement en perpétuelle évolution. C’est une tradition vivante et dynamique. „Elle est fidélité idéologique à un passé mais elle constitue aussi une adaptation pragmatique à des circonstances nouvelles qu’il faut bien régler sans trahir ses attaches fondamentales : c’est pourquoi, en dépit d’un souci d’adaptation au progrès et d’une réelle volonté de renouvellement, les communautés du Grassland restent fidèles aux valeurs ancestrales.“ (NOTUE, 2000)

Le système social est celui du gung, unité territoriale et politique. On parle de „royaume“ pour les grandes communautés (Bamoum, Bandjoun, Kom) ou de chefferies pour les plus petites, moins centralisées. Cette unité est en quelque sorte un Etat-nation, avec un territoire bien délimité, une population aux origines multiples, des institutions et une force militaire parfaitement définies, le tout dirigé par un souverain sacré, le fon ou fo. Les pouvoirs de ce dernier sont contrebalancés par celui des notables, regroupés en sociétés secrètes mkem.

L’organisation sociale est fondée sur la hiérarchisation des titres et sur les sociétés secrètes qui constituent l’ossature de tout l’édifice social. Les rouages magiques, religieux, politiques, économiques et culturels qui émanent de ces sociétés limitent les éventuels abus de pouvoir du chef. L’organisation sociale est cependant pyramidale, coiffée par le fo divinisé, représentant les ancêtres fondateurs du gung. Il est le chef religieux, juge suprême, gestionnaire du territoire, symbole vivant de la fécondité et de la prospérite de son peuple et de la chefferie. Sa représentation est un thème essentiel des arts de la région, qui peuvent ainsi être qualifiés de monarchiques, dans la mesure où tout est fait en fonction du fo. La stratification sociale se traduit ainsi clairement dans l’art et la sculpture matérielle. Chacun lutte pour obtenir un titre, auquel sont attachés honneurs et avantages, materialisés entre-autre par des sculptures. Nous allons voir comment les représentations de léopard, et leur utilisation, reflète ce système social. Les représentations  d’araignées ont une symbolique différente, liées elles-aussi à la figure du fo, mais sur le plan plus spirituel qu’est celui du lien avec les ancêtres fondateurs de la chefferie.

-La panthère nomguih’e :

Description zoologique : le léopard ou panthère (panthera pardus) est carnivore et fait partie de la famille des felidae qui a pour caractéristiques une allure de chat, une tête ronde, la pupille de l’oeil verticale, des canines longues et acérées, des griffes rétractiles. Il pèse entre 40 et 70 kg, c’est un grand félin aux membres de formes élégantes et allongées, son pelage est jaunâtre et orné de rosettes noires, sa queue est longue et tachetée. (VIVIEN, 1991)

L’animal est reputé pour sa ruse, sa férocite, son habileté, sa rapidité. Tous ces éléments font de lui un des animaux les plus craints de la brousse.

-L’araignée malomgueguih’e:

Dans l’art traditionnel du Grassland on peut distinguer deux types d’araignées.

La mygale (Earth Spider) est une araignée tropicale noire, velue, de la famille des Mygalidae. Elle vit sous terre et est utilisée dans le cadre de rites divinatoires. Pour cette raison, elle est symbole de sagesse, de connaissance et du lien avec l’autre monde. Elle est consultée pour savoir si une guerre sera victorieuse ou si une chasse sera un succès. Elle peut aussi être consultée pour des questions privées.

L’araignée de maison (House Spider de type Achaearanea tepidariorum) est l'une des plus répendue dans le monde. Elle tisse sa toile dans les coins des maisons  afin d’attraper des insectes pour se nourrir. Elle débarasse ainsi la maison de la plupart des insectes incommodants.

-Vers une stylisation des formes et des motifs

En ce qui concerne le léopard, l’artiste cherche à insister sur les qualités caractéristiques du félin, il met en valeur ce qui est le plus significatif chez cet animal, ce qui est connu de tous. Ainsi, ce que l’on connaît du léopard, c’est son agressivité, la crainte qu’il engendre. On va donc représenter ses dents acérées et ses griffes, qui sont les instruments avec lesquels il donne la mort. Ses pattes tubulaires, fléchies en angles aigus, signifient qu’il est sur le point de bondir sur sa proie. La géométrisation „réduit la représentation aux uniques attributs connus du léopard : les dents acérées, les griffes et surtout l’ocellation, celle-ci étant indiquée par des cercles peints, martelés, imprimés au fer rouge ou même creusés au couteau, ces trois détails et surtout le dernier étant considérés comme les éléments d’identification les plus importants.„ (HARTER 1986). En conservant ces quelques caractéristiques majeures, le sculpteur simplifie le reste des volumes et des lignes. Ainsi la tête et le tronc sont simples, relativement massifs, l’ensemble du corps est bien ancré dans le sol.

Comme Pierre Harter le précise, l’ocellation, marque du pelage de l’animal, est traitée avec attention. Lorsque l’objet n’est que sculpté, les ocelles sont signifiées par des cercles creusés, peints, marqués au fer rouge. Sur les sculptures perlées, par contre, le pelage n’est pas représenté par des ocelles, mais par un ensemble de motifs géométriques : damiers, assemblage de triangles isocèles ou zigzag. On peut alors parler de stylisation du pelage de l’animal.

Pour ce qui est de l’araignée, contrairement au léopard utilisé la plupart du temps comme motif principal (cariatide de siège par exemple) et assez peu en frise, elle est souvent stylisée à l’extrême et sert d’élément décoratif. On ne verra jamais une assise de tabouret soutenue par une grosse araignée mais plutôt par un assemblage d’araignées stylisées, formant un motif à tendance géométrique. Les huit pattes de l’animal permettent de créer un motif ajouré, particulièrement décoratif. Les deux types d’araignées peuvent être présentées de manière stylisées. La mygale présente alors un gros abdomène circulaire et huit (elle est parfois représentée avec six) pattes étendues. L’araignée de maison, elle,  se reconnaît grâce à son abdomène plus petit et ses pattes montrant une légère cassure, formant ainsi un angle. Utilisés en frise, ses motifs sont parfois difficile à identifier, et peuvent aussi se confondre avec le motif dit en „Huntingnet“ ou „filet de chasse“.

La panthère : lien exclusif avec le fo ou symbole de l’autorité ?

Le fo est le personnage central de la chefferie. „Il est le représentant vivant des ancêtres fondateurs de la chefferie“ (FRASER, 1972).

Quelles croyances populaires lient le fo à la panthère?

„La panthère symbolise l’autorité. Le fo est la panthère nomguih’e. Ses enfants sont ceux de la panthère.“ (NOTUE, 1985). La panthère est donc associée à l’autorité politique et judiciaire. Elle symoblise la force, la puissance du fo, le prestige et la grandeur de la royauté.

Le fo s’appelle lui-même la „panthère, nomguih’e“. Ainsi les qualités de l’animal, telles que la ruse, la force, la rapidité et la férocité deviennent aussi celles du roi.

On dit que le roi peut se transformer la nuit en panthère. Il a contracté lors de son stage initiatique une alliance avec une panthére qui vit dans la brousse. Elle devient son double pi. Ce lien est très étroit, si bien que si l’un des deux est blessé, l’autre le ressent. C’est ce lien particulier qui est transcrit dans les représentations artistiques.

Tous les objets représentant des panthères sont initialement la propriété du fo. Il peut cependant confier certains de ces objets (par exemple les cimiers, les fouets de danse, les peaux perlées) à des notables en récompense de grands services rendus à la chefferie. Il arrive aussi que des dignitaires payent une forte somme en échange de l’autorisation de porter une peau de panthère lors d’une cérémonie. Quoi qu’il en soit, les objets à motifs de léopards évoquent la noblesse et la richesse.

Ainsi, un lien fondamental lie la figure du roi à celle du léopard. Cependant, on peut se demander si ce lien n’unit pas plutôt l’image du léopard au pouvoir de la chefferie et au système d’autorité. Le fo fait en effet partie d’une société secrète au pouvoir politique fort étendu, la société des hommes-léopards. Lors de cérémonies, des objets représentant des léopards sont utilisés qui n’appartiennent pas au fo. La possession de représentations de panthères n’est donc pas exclusive. Le fo fait partie d’un groupe, d’une entité politique élargie.

L’utilisation faite des représentations du fauve semble être le reflet du système politique de la chefferie.

En effet, le système social des chefferies du Grassland est très hiérarchisé, le fo étant au sommet de cette hiérarchie. Cependant, malgré ses pouvoirs fort étendus, le fo est dépendant d’un nombre important de paramètres. D’une part, il n’est en fait que le porte-parole officiel des organes politiques et religieux que sont les sociétés coutumières. Il doit s’en tenir à un rôle strict, et tout écart peut le mettre en difficulté (PERROIS-NOTUÉ). D’autre part, les sociétés du Grassland apportent une restriction supplémentaire au pouvoir royal : elles sont divisées en deux parties distinctes. On trouve tout d’abord les descendants des rois, qui forment d’innombrables branches latérales du lignage royal. Cette lignée fournie l’héritier du trône mais est exclut de toute participation à l’élaboration et à l’exécution des décisions politiques. Ensuite, l’autre lignée est celle des serviteurs du roi, recrutés parmi les prisonniers de guerre, la descendance des anciens serviteurs et des volontaires étrangers. Ceux-là sont les conseillers du roi et administrent le pays, mais ils ne peuvent accéder à la fonction suprême de fo. Le roi, enfin, est la clef de voûte de cet édifice qui doit être maintenu dans un précaire équilibre.

Le roi est donc particulièrement entouré et est loin de diriger seul. Il est même dans une situation qui apparaît relativement instable. Il peut être déchu brutalement par les sociétés coutumières en cas d’écart au rôle défini.

Les pouvoirs du fo sont donc délégués d’une part aux sociétés coutumières, d’autre part aux serviteurs du palais, de la même manière que sont déléguées les représentations de léopard.

La panthère est comme le roi, une image du pouvoir, un symbole de la crainte que l’autorité doit inspirer.

Il semble que le fo, malgré les pouvoirs quasi-divins qui lui sont conférés, ne soit en fait qu’une image, un symbole de l’autorité qui règne dans le système social de la chefferie. Il sert à en conserver l’équilibre.

Ce phénomène se voit aussi dans l’importance donnée au trésor royal. „Les objets des trésors des chefferies représentent la légitimité des regroupements et des repères de l’histoire et des généalogies.“ (PERROIS, 1993)

La légitimité du roi dépend des images dont il s’entoure. „La légitimité et le pouvoir du fo et des sociétés secrètes comme l’importance des divers cultes sont matérialisés par un ensemble d’objets d’art à caractère rituel, symbolique ou magique, transmis de génération en génération.“ (PERROIS-NOTUE, 1997) Ainsi, un roi risque d’être déchu lors d’une bataille si le trésor de la chefferie est volé par le fo adverse.

Le fo est donc dépendant des images dont il s’entoure : du trésor en général, et de la panthère en particulier, étant donné le lien étroit qui les unit.

Les araignées et les significations qui les entourent

La mygale, vivant sous terre, noue un lien étroit avec les ancêtres, eux-aussi supposés résider sous la surface terrestre. Elle est la personnalisation de la connaissance accumulée à travers les siècles. Parce qu’elle connaît les mystères de la vie et de la mort, elle est capable de discerner une réalité cachée ou futur. Elle est supposée pouvoir aider les vivants à trouver des solutions ou à résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. C’est pour cette raison qu’elle est utilisée pour la divination.

Une séance de divination se déroule de la manière suivante : Une personne demande à un oracle d’interroger une mygale sur un sujet précis. L’oracle, capable de lire et d’interpréter les traces laissées par l’animal, cherche l’emplacement d’un trou dans lequel vit une mygale. Il installe autour de ce trou des bâtonnets, et recouvre le trou d’un récipient. La question est ensuite posée à l’araignée. Celle-ci est censée descendre dans les profondeurs de la terre, trouver le roi des morts, qui est supposé tout savoir. Elle rapportera ensuite une réponse à la surface. Pour que l’oracle puisse interpréter cette réponse, il faut attendre que l’araignée sorte de son trou et déplace les bâtonnets. C’est dans la position de ces derniers que la réponse se lit. Il faut parfois attendre plusieurs jours avant que la mygale ne sorte de son trou.

Les oracles sont plus ou moins expérimentés. Et peuvent lire dans la position des bâtonnets des réponses plus ou moins précises (ils interprètent ces signes de 30 à 100 manières différentes).

Ainsi, la mygale est un médiateur entre le monde des morts et celui des vivants, elle fait le lien entre le monde spirituel et le monde matériel. Ce que les yeux des vivants ne peuvent pas voir, les morts eux en sont capable et le communique par l’intermédiaire de la mygale et de l’oracle. Ce dernier est indispensable dans ce procédé de divination. Il est le seul capable de transposé le message secret en termes compréhensibles, et en propose une transcription appropriée pour apporter des réponses aux questions posées.

Comme on touche ici à des concepts proche du sacré la mygale est rarement représentée de façon naturaliste. Les représentations naturalistes de l’animal ne sont façonnées que par des artisants sélectionnés et pour des utilisateurs peu nombreux et privilégiés : le tabouret d’un oracle, par exemple, ou un objet du palais du fo.

L’image de la mygale est en effet intimement liée à celle du chef : elle est le symoble de la connaissance et de la sagesse, qualitées importantes chez le fo, attendues de lui par la communauté, pour le bien-être de la communauté. De plus, le fo, comme la mygale, est le représentant vivant du lien avec les ancêtres.

L’araignée de maison, elle, tissant sa toile et y attrapant les insèctes nuisibles, est porteuse d’un autre type de signification. Elle est comparée au chef de famille, au maître de maison, qui doit avoir la capacité d’attraper les informations dans sa demeure afin d’être au courant de ce qu’il s’y passe, et doit empêcher les importuns de venir prendre place dans le cercle de la famille, afin d’y faire règner la paix. Cela fonctionne au niveau de la famille comme au niveau de la chefferie tout entière...

Ainsi, lorsqu’un nouveau chef est intronisé, les tabourets et autres objets à représentation d’araignées dont il hérite sont le symbole de la paix passée, présente et future régnant dans la chefferie. La bénédiction des ancêtres est donc assurée au nouveau chef.

-Préciosité : cauris, perles

De nombreuses sculptures du Grassland sont decorées de perles de verres. Dans une étude que Pierre Harter leur a consacré, on peut lire que le commerce des perles de verre date d’avant l’arrivée des commerçants européens dans la baie de Biafra en 1492. D’intenses échanges commerciaux avaient alors lieu par l’intermédiaire des Arabes du nord. Il existait aussi un intense commerce interafricain concernant principalement des coraux bleuâtres, transformés en perles par les Africains et troqués avec les pays voisins. A leur arrivée, les Européens vinrent se placer en concurrent dans ce vaste système commercial. Ils durent se plier à la demande de perles déjà connues dans la région. Ce sont principalement les artisans de Murano à Venise qui répondirent à cette demande. Puis ce fût au tour de la Bohème et d’Amsterdam, avant l’Angleterre, l’Allemagne et enfin la France.

On peut classer ces perles en deux catégories : perles préparées par étirement (tubulaires ou granulaires), et perles enroulées. Parmi ces perles, certaines avaient une telle valeur qu’elles étaient utilisées comme monnaies, pour l’achat d’esclaves par exemple. „ Ainsi elles ne font pas que représenter symboliquement le pouvoir et la richesse de celui à qui elles appartiennent mais elles sont elles-même des objets de richesse et de pouvoir.“ (NORTHERN, 1975)

Il en va de même pour les cauris. Avant même celui des perles de verre, un commerce de coquillages cauris, importés de la côte orientale de l’Afrique et des îles Maldives, était en vigueur. Ils servaient jusqu’à l’époque coloniale de monnaie d’échange. Cette ancienne fonction transparaît encore aujourd’hui dans leur nom mbüm, qui veut dire monnaie, moyen de paiement. Ils sont aujourd’hui utilisés comme éléments de décoration sur des lits, tabourets, trônes... Des objets montrant des léopards et des araignées en sont aussi parfois recouverts. Ils sont appliqués en lignes parallèles, bout à bout, sur une toile lui servant de support, de façon à ce que l’on voie la face avec les deux lèvres. Un noeud vient ensuite les fixer à chacune des commissures. Il peut être utilisé de façon ponctuelle ou bien pour couvrir l’ensemble de l’objet.

La place de l’artiste

„Les objets d’art du Grassland ont été façonnés avec un souci esthétique évident et une remarquable maîtrise des matériaux par des artistes connus et souvent très respectés dans leur chefferie d’origine, parfois même au loin.“ (PERROIS, 1993)

L’artiste est un rouage important de la société traditionelle puisque sa mission est de transmettre les traditions artistiques de la communauté, de les maintenir vivantes et de les renouveler de l’intérieur. Ainsi, considérés comme des gardiens de la tradition, mais aussi à l’avant-garde de la création, les artistes sont couverts d’honneurs et de richesses par leur souverain et leur entourage. Les artistes qui façonnent des objets cultuels ou cérémoniels comptent parmi les grands dignitaires des chefferies. Lorsque les commandes affluent, il arrive qu’ils installent de véritables ateliers où travaillent aides et élèves, le plus souvent des parents de l’artiste. Dans ce cas, seul le maître a le droit d’innover et de créer, les aides ne faisant qu’exécuter les ordres du grand initié. L’artiste doit suivre un long entraînement et une formation complète avant d’être capable de réaliser des oeuvres.

L’ensemble de la création artistique est dépendant de la demande. Il faut qu’une clientèle commande des oeuvres pour qu’il y ait une activité artistique. Le commanditaire peut être un individu, un mécène ou une société coutumière. Dans le Grassland, les principaux commanditaires sont les chefs.

La renommée de ces sculpteurs s’étend au-delà des limites de leur propre chefferie.

Les oeuvres d’art sont des produits d’échange à l’intérieur autant qu’à l’extérieur de la chefferie. Ainsi il arrive qu’un fo commande des oeuvres à un artiste de renom, originaire d’une chefferie éloignée.

Si les objets circulent, il en va de même pour les sculpteurs. Ils peuvent être amenés à se déplacer lors d’une commande d’un fo désireux d’enrichir son trésor, ou pour la recherche d’un bois particulier. Certains souverains font venir à leur cour un nombre considérable d’artistes renommés, afin d’accroître leur prestige. Il arrive qu’un fo fasse cadeau du sculpteur et non d’une seule sculpture à un fo allié. C’est alors un des dons les plus prestigieux qui puisse être fait à un fo par un autre fo.

Nous avons dit que les artistes étaient fréquemment des notables importants dans le fonctionnement de la chefferie. Nous devons ajouter à cela que les rois eux-même ont parfois été des artistes de talent.

Il arrive aussi, étant donné le prestige de cette activité dans la région, que certains chefs s’approprient la paternité d’oeuvres renommées qui avaient été realisées par des artistes placés sous leur protection. L’artiste y trouve son compte, cette situation lui permettant de rendre hommage au fo, ce qui est à la fois un honneur et un devoir.

Cette circulation des oeuvres et des artistes, ainsi que le brouillage des pistes concernant la paternité des sculptures, posent problème pour l’identification des provenances des objets, et ne permet pas de faire un classement précis stylistique et géographique.

BIBLIOGRAPHIE

Biro Y., 2000 _ La représentation du léopard dans les arts du Grassland, Cameroun. Université Paris I, Mémoire de maîtrise.

Fraser C., 1972 _ African art and Leadership. Madison, University of Wisconsin Press.

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Knöpfli H., 1993 _ Sculpture and Symbolism. Crafts and Technologies: Some Traditional Craftsman of the Western Grasslands of Cameroon. Welt Laden Stuttgart.

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Notué J.P., 2000 _ Arts du Grassland, in Arts d’Afrique. Paris, Musée Dapper / Gallimard.

Perrois L., 1993 _ Les rois sculpteurs, art et pouvoir dans le Grassland camerounais. MNAAO, Paris, R.M.N.

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Galerie Peter Herrmann, Berlin 2004